Jean Todt : quand la réussite d’un homme avance à la vitesse de son ambition

J’ai eu le grand plaisir d’interviewer Jean Todt au mois de juillet dernier dans son bureau, à la F.I.A (Fédération Internationale de l’Automobile) place de la Concorde ; un homme ancré dans le moment présent, intègre, sans détour et d’une rare générosité. Un homme simple mais d’une détermination redoutable.

Vous êtes vice-président et membre fondateur de l’Institut du Cerveau, pourriez-vous nous raconter comment s’est forgé ce projet ?

J.T : Avec plaisir.  Au cours d’une discussion avec mon ami le professeur Gérard Saillant, je lui ai suggéré de fonder un Institut orthopédique. Car lui-même est un grand chirurgien de cette spécialité : à chacun des accidents de course, il était là à nos côtés pour nous accompagner et nous conseiller. Le fait de créer cette institution aurait été une belle façon de prolonger son action. L’idée l’a intéressé et nous avons commencé à y réfléchir ensemble sérieusement. Fonder un institut médical l’emballait mais il m’a répondu que l’orthopédie était déjà connue, c’était en quelque sorte « le châssis », mais ce que l’on connaissait moins par contre c’était « l’électronique » : le cerveau. Il me paraissait naturel que Gérard choisisse le domaine médical le plus approprié. Nous avons alors rencontré deux de ses confrères, les professeurs Olivier Lyon-Caen et Yves Agid ; ils nous ont dit « banco » et nous avons commencé à nous répartir les tâches. Pour ma part, j’ai proposé à un certain nombre d’amis de se joindre à nous.

5 ans plus tard, la première pierre était posée au pavillon Rambuteau de la Pitié-Salpêtrière et en 2010, l’Institut du Cerveau, bâti sur 25.000 mètres carrés selon les plans de l’architecte Jean-Michel Wilmotte, était né. C’est une organisation particulièrement performante de 700 chercheurs, le deuxième centre de ce genre au monde. L’originalité de son financement repose sur une conjugaison de Fonds publics et privés.

L’institut du Cerveau vient de fêter ses dix ans, quelles sont les avancées réalisées depuis sa création ?

J.T : Je ne suis pas vraiment la personne la plus qualifiée pour répondre à cette question car je ne suis pas scientifique, contrairement à mon père qui était médecin. Cependant, le directeur général, Alexis Brice, nous présente régulièrement les avancées médicales lors des conseils d’administration. Mon rôle est surtout le suivi des financements publics et des dons privés.

Sauriez-vous nous raconter votre histoire, vos racines afin que nous puissions comprendre le cheminement de votre sens de la philanthropie

J.T : La philanthropie est intrinsèquement liée à mon histoire personnelle. Je pars du principe que si on a la chance d’avoir une certaine réussite, il faut donner quelque chose en retour. J’ai eu le privilège de beaucoup voyager et j’ai constaté que richesse et misère se côtoient un peu partout dans le monde. C’est forcément très marquant. J’ai donc voulu apporter ma modeste contribution à la société.

Ma philanthropie se décline aussi par les missions que l’on a pu me confier tout au long de ma vie, que ce soit en tant que Président de la FIA qu’en tant qu’Envoyé Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la sécurité routière. Accompagné de mon épouse, je dirige également une Fondation en Birmanie, la Suu Foundation. J’ai l’honneur de siéger également au conseil de l’I.P.I (l’International Peace Institute) et au Board du Ban Ki-Moon Centre for Global Citizens. Je milite aussi pour l’amélioration de la sécurité routière sur les routes, l’accès à la santé, à l’éducation et à l’emploi dans les pays en voie de développement. Je travaille en étroite collaboration avec l’IFRC (International Federation of Red Cross and Red Crescent Societies). Dernièrement, aux côtés de la Maire de Paris Anne Hidalgo, j’ai visité la Halte Humanitaire de la Fondation de l’Armée du Salut à la Porte de la Chapelle, un formidable dispositif qui offre un accueil de jour aux personnes les plus démunies en situation de migration.

Pensez-vous que cela soit une surprise pour les Parisiens de côtoyer cette misère au bord du périphérique ?

J.T : Malheureusement non. Je pense que les gens savent que cette pauvreté extrême existe tant à l’autre bout du monde qu’aux portes de Paris. Mais je crois que chacun peut contribuer à son échelle à aider les autres. Je vous donne un exemple tout simple, l’une de mes proches, cuisinière thaïlandaise, soutient les réfugiés birmans à la frontière de la Thaïlande malgré ses moyens limités.

Vous avez une vie extraordinaire, qu’est-ce que la philanthropie peut vous apporter de plus que vous n’ayez déjà ?

J’essaie d’aider les autres mais je ne le fais en aucun cas pour que cela m’apporte quelque chose. Cela me donne sans doute meilleure conscience, mais si j’agis ainsi c’est simplement parce que j’ai envie de le faire et c’est un choix personnel.

Votre philanthropie n’est plus à prouver, quels seraient les ingrédients qui pourraient faire basculer votre cœur vers une nouvelle cause, un nouveau projet ?

Il est extrêmement difficile de choisir à qui donner car je reçois en permanence des sollicitations. Pourquoi donner à l’un ou à l’autre ? En ce qui me concerne, je me concentre sur les actions dans lesquelles j’ai un engagement direct. J’essaie de me cantonner aux domaines qui sont les plus proches de moi. Il m’est essentiel de pouvoir évaluer le résultat, mesurer l’impact concret de mon soutien, c’est quelque chose que je ne perds pas de vue.

Comment est née cette passion du monde de la compétition automobile ?

Sans aucun lien génétique. C’est une passion qui m’est tombée dessus très tôt. Je suis quelqu’un de curieux et j’ai été très vite attiré par les voitures, par la course automobile et c’est devenu mon intérêt majeur quand j’étais gamin. Mon rêve était de devenir pilote de course, cela s’est transformé puisque j’ai été co-équipier de rallye. Puis mes choix ont évolué, je suis devenu patron d’équipe chez Peugeot, dans les rallyes, les rallyes Raid puis l’Endurance ; ensuite j’ai eu l’opportunité de devenir patron de Ferrari et c’est une chose à laquelle je ne m’attendais absolument pas. C’était certainement l’un des plus gros défis de ma carrière car Ferrari est plus qu’une marque de voiture, c’est un mythe.

Selon vous, quel est l’élément qui vous a permis cette réussite professionnelle ?

Peut-être certaines dispositions personnelles et là c’est tout ou rien, on les a ou pas. Ensuite il faut savoir aligner travail, rigueur, engagement, détermination et bien sûr une pincée de chance ; mais parfois de malchance. La malchance malheureusement j’en ai une conscience absolue lorsque je fais certaines visites à l’hôpital et que je rencontre des personnes ayant des destins qui ont basculé en quelques secondes, parfois suite à un accident bête du quotidien. Je crois profondément au destin mais je crois plus encore au fait qu’il faille accompagner le destin. La vie est une semaille et si l’on plante bien, on a plus de chance de récolter de façon féconde.

Quelle est l’émotion la plus belle que vous ayez vécue sur un circuit automobile ?

La victoire de Michael Schumacher au Grand Prix du Japon de Formule 1 le 8 octobre 2000, qui donne à Ferrari son premier titre de champion du monde des pilotes depuis 1979. J’ai été embauché par la Scuderia en 1993 et lui en 1996 et nous avions tous les deux le même objectif ; ce jour-là à Suzuka nous l’avions atteint, nous étions heureux.

Que pouvons-nous vous souhaiter pour les années qui viennent ?

La vie est un cycle et la durée de vie ne cesse d’augmenter. Il faut le meilleur accompagnement possible des maladies dégénératives pour que la dernière partie de vie soit la plus confortable. Je souhaite surtout rester en bonne santé et autonome, entouré des êtres qui me sont chers.

Amélie de Valence

Chroniqueuse philanthropie

Photographie : (c) DR

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