Splendide découverte que cet antre dédié à la philanthropie situé au cœur de Paris à deux pas de Notre-Dame, le Philanthro-lab est un joyau architectural qui remonte au XVème siècle. Innovant dans sa nouvelle conception, le Philanthro-lab est agencé comme un lieu d’accueil, de rencontre et de partage. Il est conçu comme un écosystème dédié à la création, à la culture et à la solidarité.
Philippe Journo, maître des lieux m’accueille : visage détendu, franc sourire ; son charisme n’entache ni sa simplicité ni sa chaleur humaine, il n’a pas de temps à perdre mais son savoir-vivre ne laisse rien percevoir. S’il me reçoit, c’est pour me parler alors c’est parti.
Philippe Journo, pourriez-vous vous définir en quelques phrases ?
Je vais me définir en tant que philanthrope. Mon éducation m’a appris à rendre ce que l’on m’avait donné, j’essaie de faire ce que je peux dans ce domaine. J’ai eu la grande chance de naître dans une famille aimante, pas très riche mais aimante. J’avais une petite sœur non voyante ce qui m’a inculqué très tôt le sens du devoir. Si je devais me résumer, je dirais : garder le sens du devoir, essayer de gagner sa vie correctement et dépenser son argent avec élégance.
En tant que business man accompli, vous considérez-vous comme chanceux ou méritant ?
Dans un parcours de vie, il y a toujours un peu des deux. Il y a toujours le résultat du travail et un peu de chance qui vous permet de transformer les moments difficiles en petites victoires. Chanceux et méritant sont deux termes qui correspondent assez bien au parcours de nombreux hommes d’affaires, de chefs d’entreprises ou même d’hommes politiques.
Vous venez de me définir le mot de résilience en somme ?
Oui un peu.
Quelle est l’influence de votre histoire familiale dans votre vision de la philanthropie ?
Mon histoire familiale est capitale dans ma vision philanthropique du présent. J’ai eu une mère institutrice qui m’a inculqué très jeune les valeurs de devoir, de responsabilité, de protection des êtres aimés. Ce sens de la responsabilité a commencé par prendre soin de ma petite sœur et a perduré en tentant d’être bienveillant avec mes semblables. Mais le mot-clef dans mon histoire, c’est le mot « responsabilité ». Ça a commencé très tôt, quand j’avais 8 ans ma mère me faisait prendre l’avion seul avec ma sœur non-voyante qui en avait 4. Sans parler de « grande responsabilité », on peut penser le terme « responsabilité » comme un mot extrêmement structurant dans une vie.
Quel était votre rêve quand vous étiez petit garçon ? L’avez-vous atteint ?
J’avais un premier rêve qui était celui de résoudre les problèmes de cécité ; rêve inaccessible car je n’avais pas le don de la médecine. Mon second rêve était d’avoir suffisamment de moyens financiers pour ne pas être dans le besoin et pouvoir ainsi protéger mes proches car ma famille a eu quelques moments difficiles qui ont profondément marqué mon enfance.
Est-ce que cette peur de manquer vous est restée ?
Oui tout à fait. C’est même un élément structurant de ma personnalité ; ça peut même me provoquer de vives angoisses.
Quelle est la dimension particulière que la philanthropie offre et que les affaires ne vous donneront jamais ?
Dans la philanthropie, il y a une dimension de satisfaction personnelle que vous ne trouverez pas dans le monde des affaires : le regard de l’autre. La victoire professionnelle est une victoire extrêmement solitaire.
Lorsque vous aidez quelqu’un à faire quelque chose qui vous semble bien, vous avez une dimension qui s’installe qui est d’ordre plus collectif. C’est aussi pour cela que nous avons imaginé et créé le Philanthro-Lab : offrir au plus grand nombre un lieu destiné à favoriser l’engagement et l’essor de la philanthropie.
Estimez-vous que « donner rend heureux » ?
Donner rend meilleur ça c’est certain, et donc donner rend effectivement heureux. C’est même prouvé scientifiquement.
Quelle contrepartie immatérielle attendez-vous à la suite d’un don quel qu’il soit ?
La philanthropie c’est donner sans rien attendre en retour donc je n’attends rien hormis un merci. Mais pas plus !
Avec le Philanthro-Lab nous voulons créer une dynamique collective au service des porteurs de projet d’intérêt général et mettre à l’honneur les philanthropes qui rendent cela possible. Je remercie particulièrement la Société Générale et la Fondation Accenture, nos mécènes d’honneur, et j’appelle le plus grand nombre à nous rejoindre dans cette aventure exceptionnelle.
L’un de vos crédos est que toutes les causes sont bonnes mais sont-elles toutes aussi prioritaires selon vous ?
Au Philanthro-lab, on considère toutes les causes comme bonnes parce que je me suis rendu compte que le monde de la philanthropie restait un monde quelque peu compétitif. Certaines personnes sont si habitées par leur cause qu’elles ont parfois tendance à penser que leur engagement est au-dessus des autres. Chacun peut avoir sa propre sensibilité mais au Philanthro-lab, nous donnons à toutes les causes le même poids et les mêmes droits. Nous y accueillons toutes sortes de structures philanthropiques exceptées celles qui portent des causes religieuses ou politiques et cela essentiellement pour des raisons républicaines.
Il y a 15 ans, quelqu’un m’a interpellé lors d’un dîner en me disant « vous n’avez pas honte de ne pas donner pour telle cause alors que vous donnez pour telle autre qui est plus futile ? » ça m’avait quelque peu interloqué. On peut bien sûr penser que sauver la vie des gens est plus important qu’apporter la culture dans la ruralité mais sommes-nous si sûrs de ça ? On a tous cette image dans la tête de ces gens qui brûlent des livres mais n’est-ce pas là le début de la barbarie ? Sait-on où sont les petites graines qui font germer la vie ?
Selon vous quelle est l’action majeure que l’état devrait mettre en place pour encourager la générosité des Français ?
Cela fait 14 ans que je milite pour que l’état défiscalise totalement les 100 premiers euros de don. La philanthropie ne doit pas être réservée aux plus aisés et je prône une société dans laquelle chacun doit faire sa part. C’est le mouvement du don qui compte et nous ne pouvons pas établir de hiérarchie entre celui qui peut donner 100 euros et celui qui peut donner 1000 euros. Chacun doit pouvoir se sentir acteur, en capacité d’aider l’autre, d’autant plus dans une société où l’État n’a plus les moyens de tout faire.
Défiscaliser ces 100 premiers euros de don c’est offrir un choix à chaque citoyen, créer une habitude de don, une habitude proche de celle de la consommation, peut-être même une addiction au fait de donner étant donné que vous fabriquez à ce moment-là de la dopamine qui fait naître de la joie en vous. Cela participe à une société qui est moins dure ou en tous cas qui est meilleure envers elle-même.
Qu’avez-vous envie de transmettre comme message à ceux qui ont les moyens de donner mais qui n’ont pas encore sauter le pas ?
Je leur dirai : « essayez, vous en serez plus heureux ! ». Je pense que les Français sont spontanément généreux mais il faut éduquer, voire rééduquer à chaque génération.
La philanthropie peut-être le summum d’un parcours de vie pour les hommes d’affaires américains, en revanche en France si l’on donne, cela peut paraître louche. Il faut inverser la tendance et arrêter de se dire que si quelqu’un donne beaucoup, il a forcément beaucoup à se faire pardonner.
Attention à ne pas transformer l’acte de don en acte patricien, donner doit rester quelque chose de naturel comme un enfant qui partage son BN avec son copain à la récré parce qu’on lui a appris la générosité à la maison.
L’État doit prendre conscience qu’il a ce rôle d’effet démultiplicateur et paradoxalement dès le démarrage de l’acte de don. Les dernières lois sur le mécénat découragent malheureusement ceux qui peuvent donner le plus.
En ces temps incertains, quel est votre message d’espoir pour ceux (entreprises ou particuliers) qui ont dégringolé à cause de la crise de la COVID ?
Moi je crois fermement en l’être humain. Si l’être humain en est là aujourd’hui c’est parce qu’il avait une faculté d’adaptation bien supérieure à celle de tous les autres animaux.
Va-t-on rentrer dans une période de recul des lumières ? Va-t-on se juger encore davantage ? Je n’ai pas de boule de cristal mais je crois profondément à la capacité de l’être humain à s’entraider.
Que puis-je vous souhaiter pour l’avenir ?
Souhaitez-moi une bonne santé ainsi qu’à ceux qui me sont chers et tout ira bien !
Amélie de Valence
Chroniqueuse philanthropie